— Je suis l’amante du Soleil, je me lève dans sa splendeur, rayonne à son
zénith et me couche dans ses flamboiements pacifiques, tandis que ton éclat est
sombre, austère. A l’image de ton éther peuplé d’oiseaux de malheur, de ton
siècle agité par ces orages que tu appelles “civilisation”... Parée de la seule
clarté du jour, je me sais plus aimable que toi, vaine porcelaine alourdie
d’artifices, compassée dans de pesants atours voilant ta peau au lieu de la
révéler.
— L’astre dore peut-être ta face mais il est loin de mon trône et
n’éclaire que les hôtes quelconques de tes terres sauvages, il n’a pas
d’Histoire, pas de mémoire. Tes matins sont pareils aux autres matins, rien ne
change sous ton azur immuable. Nul ne te contemple, à part ta propre ombre et
quelques inconnus furtifs dont aucune stèle ne retiendra les noms... Alors que
des princes m’approchent, d’illustres courtisans me vénèrent, des peintres
rêvent de mes courbes, des sculpteurs me gravent dans l’éternité.
— Certes les siècles m’oublieront mais le présent me glorifie ! Qu’ai-je
besoin de briller dans mille ans ? La bonne fortune de l’instant me suffit. Je
suis heureuse d’être admirée tant que je respire. Peu m’importe de n’être belle
qu’à travers des regards anonymes pourvu que cela me flatte et réjouisse ceux
que je croise !
— Tu n’es qu’une silhouette éphémère, une libellule de passage que
remplaceront d’autres demoiselles aussi légères et volatiles... Moi je suis une
statue de marbre, une oeuvre unique, une icône figée pour toujours dans l’idéal
des hommes de mon monde fait de palais et de châteaux. Mon front jamais ne sera
terni : il demeurera intact pour la postérité. Aussi admirable sois-tu, tu
n'auras que le sable et l’écume pour tombeau.
— Ton royaume est plein d’or et de raffinements, érigé de sommets d'art,
embelli de jardins fabuleux et féconds, mais il est aussi déchiré par des
tempêtes absurdes, ravagé par des folies sanglantes. Il est riche de fantaisies
et de progrès mais également d’industries funestes. Je n’envie pas ton olympe et
ses horizons menaçants. Ton ciel est éblouissant de promesses mais ton sol est
affreux. Moi je me contente du trésor intime de mon dénuement, me sachant ainsi
l’égale de toute chose créée, sans autre ambition mais sans moindre mélancolie.
Le prix de ton bonheur est aussi celui de ta malchance. Au contraire de toi, je
traverse l’existence sans lauriers mais sans misère. Tu es prestigieuse dans ton
empire, mais moi je suis comblée sur mon île. Tu as le succès, j’ai la lumière.
Tu portes des diamants, j’ai mon seul sourire. Nous avons toutes deux la beauté
mais moi j’ai une flamme de plus essentielle que tes fastes : ma
simplicité.
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